Féminisation des filières scientifiques : des efforts pour plus d’effets

La lente évolution du nombre de filles dans les filières scientifiques est un problème de société dans lequel les établissements scolaires peuvent avoir un rôle à jouer. Nombre d’écoles lasalliennes sont conscientes de l’enjeu et mettent en place des stratégies pour arriver à un équilibre. « Il y a du travail à faire », constate Patrick Albers, enseignant-chercheur en informatique et responsable de la filière numérique de l’ESAIP d’Angers, l’une des trois écoles d’ingénieurs lasalliennes de France. « Il y a encore des réflexions de profs qui ont 30 ou 40 ans et que je trouve aberrantes, comme « C’est pas un travail de fille, ça », ou « On sait bien que les filles n’aiment pas trop les sciences ». Pourquoi les discriminer ? Je ne dis pas que c’est un discours général, bien sûr, mais on l’entend toujours quand même », regrette-t-il. On sent la colère dans sa voix : les stéréotypes ont la vie dure, et c’est l’une des raisons pour lesquelles les filles sont toujours en minorité dans les filières scientifiques. « C’est à cause des idées imputables aux représentations de la société », affirme de son côté Thomas Marlat, chef d’établissement du site Saint-Barthélemy au sein de l’ensemble scolaire Aux Lazaristes-La Salle de Lyon.À quelques pas de là, au sein de l’école primaire du site Saint-Jean, trois enseignantes de primaire font des choix réfléchis et mettent en place des stratégies pour lutter contre les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge : elles utilisent une méthode non genrée d’apprentissage des mathématiques en CP et privilégient le travail de groupe pour que les filles se sentent plus à l’aise. C’est primordial pour Guillemette Caillet, qui a une classe de CP : « Dès le début de leur scolarité, on doit dire aux filles que c’est possible pour elles de faire des sciences et des carrières scientifiques. »À l’autre bout du spectre étudiant, il est encore et toujours important de le répéter, même auprès des jeunes adultes : « Dans le pôle excellence en cybersécurité, on a mis une femme en avant. Elle s’appelle Gwenaëlle Barrois. Elle représente l’école. Elle a pour mission de donner de la voix pour attirer les jeunes filles, pour montrer que les filles aussi ont leur place dans les sciences, explique Ladji. Même dans les choix de nos délégués, c’est toujours un garçon et une fille. S’il y a des événements scientifiques, les filles sont mises en avant justement pour montrer la voie », complète-t-il. La stratégie est l’équité plus que l’égalité pour tenter de redresser le déséquilibre qui persiste, voire qui s’aggrave. Extrait du reportage Magazine La Salle liens international décembre 2022 by Florence Porcel pour en savoir plus : l.fauthoux@lasallefrance.fr ou l.pollet@lasallefrance.fr La réforme du Bac, facteur aggravant? En deux ans, en effet, la proportion de filles dans les filières scientifiques s’est effondrée. En cause : la réforme du Bac de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Les données chiffrées du rapport du Collectif Maths&Sciences paru en octobre 2022 parlent d’elles-mêmes : entre 2019 et 2021, le nombre de filles à profil scientifique suivant six heures de maths ou plus par semaine a baissé de 61 % (contre -37 % chez les garçons). La désaffection est nette : « La rupture est aussi brutale qu’inédite. Même si on considère tous les élèves à profil scientifique, la part des filles recule de 20 ans en deux ans de réforme, avec seulement 44,7 % de filles en 2021 », indique le rapport. Pour Ladji (nom ?), il est encore trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions définitives. En effet, peut-être faudra-t-il encore plusieurs années pour savoir si la tendance 2019-2021 se confirme ou s’il s’agit d’une anomalie statistique qui n’aurait aucun lien avec la réforme Blanquer. . Certains signes cependant ne trompent pas : au vu de ces premiers résultats, le gouvernement rétropédale. Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a annoncé en novembre 2022 le retour des mathématiques obligatoires pour les élèves des lycées dès 2023 pour contenir l’hémorragie de filles : « L’avenir de l’excellence française en mathématiques se trouve largement du côté des filles. Notre objectif est la parité filles-garçons », a précisé le ministre. Malgré tout, ni l’école ni le gouvernement ne peuvent être tenus pour seuls responsables de l’historique déséquilibre genré des filières scientifiques. Avant l’arrivée dans le parcours scolaire, les enfants sont issus d’une famille. Celle-ci peut malheureusement véhiculer les stéréotypes les plus délétères : « J’ai une élève en souffrance, raconte d’un air grave Laurence Bouyge, qui enseigne les maths et l’informatique en prépa au lycée Aux Lazaristes-La Salle. Ses parents lui disent que ce n’est pas la place d’une fille de faire des sciences. » Dans un tel contexte familial, on ne peut que saluer le courage et l’opiniâtreté de cette jeune fille qui lui ont permis d’arriver jusqu’en prépa.Heureusement, il existe des exemples plus positifs : « Au départ, ma mère ne voulait pas que je fasse des sciences, explique Ambre, élève de terminale du site Neyret à Lyon, qui souhaite devenir ingénieure en cosmétique. Mais maintenant, elle me soutient ! » Sonia-Lilly, élève de terminale dans le même lycée, a beaucoup hésité dans ses choix d’orientation et s’est finalement dirigée vers les sciences, comme sa sœur. Mary constate l’impact des parents sur le choix d’orientation de leurs enfants lorsqu’elle tient des stands dans les salons étudiants. Et Ladji d’enfoncer le clou : « Dans les salons, on le voit bien, les parents prennent la décision de pousser les enfants dans une direction plutôt qu’une autre », avec parfois le risque de freiner les filles vers les filières scientifiques. « Les a priori sont encore très forts », acquiesce Patrick Albers. En discutant avec les élèves, on se rend compte qu’au-delà des pressions diverses, la profession des parents joue beaucoup dans le choix des enfants : la reproduction sociale chère à Bourdieu reste une réalité. Parmi les neuf élèves rencontrés sur le site Saint-Barthélemy de Lyon, quasiment tous ont des parents médecins, vétérinaires, ingénieurs
REPORTAGE DANS UN DE NOS ÉTABLISSEMENTS : “DU DEVOIR DE L’ENGAGEMENT À LA JOIE DU PARTAGE”

Au lycée de la Rochefoucauld La Salle, l’engagement n’est pas un vain mot. En ce jeudi du mois de janvier 2023, le temps est maussade. Pourtant, le gris et la pluie ne découragent pas les élèves du lycée La Rochefoucauld La Salle, nombreux à s’adonner au basket pendant la pause déjeuner, sur le terrain enclavé entre le bâtiment scolaire et l’arrière d’immeubles haussmanniens qui s’élèvent comme autant de forteresses. Le sol synthétique rouge sombre s’apparentant plus à une pataugeoire qu’à un terrain de sport, un lycéen s’applique à l’écoper minutieusement avec un racleau pour que ses camarades puissent faire rebondir le ballon comme il se doit. Comme une illustration des propos qui seront tenus tout au long de la journée, l’initiative d’un individu rend service à tout le groupe : dès notre arrivée, « la Roche » tient ses promesses. Extrait du reportage Magazine La Salle liens international mars 2022 Florence Porcel – Laurence Pollet – Lionel Fauthoux Des élèves privilégiés et engagés Dans ce lycée du très cossu 7e arrondissement de Paris, chaque élève arrivant en 2de, une « année sans échéance » selon les mots de Tiphaine, une élève de terminale, doit choisir une association dans laquelle devenir bénévole. Cette obligation est une chance : « Grâce à ça, on se rend compte que c’est hyper facile de s’engager », explique Benoît, 17 ans. Cet élève de terminale avait alors choisi d’aller distribuer des repas via l’association La soupe Saint-Eustache. Tiphaine, de son côté, a découvert les maraudes. Quant à Salomé, scolarisée en 1re, elle est très investie dans l’association Cœur de Roche, intrinsèque à l’établissement, pour laquelle elle récolte des fonds pour financer un voyage au Pérou afin d’aller y rénover une école. Ces trois jeunes font preuve d’une maturité tout à fait étonnante. Est-ce le fait de s’engager dès l’adolescence pour venir en aide à des populations dans le besoin qui apporte cette épaisseur et cet ancrage ? Ou bien est-ce leur ouverture et leur empathie naturelles qui les ont poussés à ne pas cesser leurs multiples engagements après leur première année de lycée ? Toujours est-il que ces élèves impressionnent. Benoît a fait un voyage humanitaire au Népal pendant les vacances d’été ; il a aidé des enseignants de maternelle à donner des cours d’anglais. Salomé reverse tout l’argent de ses baby-sittings dans Cœur de Roche. Et Tiphaine s’est rendue auprès d’enfants atteints du sida en Inde et a voulu créer sa propre association en France pour faire des maraudes (elle s’est malheureusement heurtée à l’obstacle de l’âge, peu compatible avec l’exercice de ces actions bénévoles en toute indépendance). Pour ces jeunes, l’engagement n’est donc pas consigné qu’au strict temps scolaire : il fait déjà partie de leur vie citoyenne. Transmettre le sens du don et du partage Face à ces profils impressionnants, il est facile de se laisser déstabiliser. Tous les élèves du réseau lasallien peuvent-ils en faire autant ? C’est Benoît qui, le premier, apporte une réponse à cette question qui n’a pas été ouvertement posée : « Nous sommes très privilégiés, surtout ici : on tourne la tête et on voit la Tour Eiffel. » Le milieu social aisé est évidemment non négligeable : avec des parents avocats, médecins, commissaires aux comptes ou cadres universitaires comme c’est leur cas, l’engagement envers les personnes moins chanceuses est plus simple à mettre en place, par exemple, que pour une élève rencontrée à Lyon à la faveur d’un précédent reportage qui doit aider sa mère pour les tâches ménagères chaque soir après l’école.Ces trois élèves-ci n’en ont pas moins du mérite, d’autant plus que la conscience de leurs privilèges est aiguisée : « On est assez grand pour prendre conscience de la chance qu’on a, acquiesce Tiphaine suite aux propos de Benoît. J’ai chaud, je suis éduquée, je suis aimée par mes parents, j’ai beaucoup : je ne peux pas ne rien faire. » Salomé abonde dans le même sens : « On a tous conscience d’être privilégiés dans cette école. Partager cette chance ne nous enlève rien, nous n’avons donc aucune raison de ne pas la partager. » Dont acte. Elle insiste également sur la transmission, elle qui a eu envie de s’engager après avoir vu une vidéo sur les résultats d’une action humanitaire : « Le récit de l’engagement est primordial. Mon année de terminale sera aussi importante que le voyage au Pérou prévu l’été prochain : il faut partager le retour d’expérience pour que les gens prennent d’eux-mêmes l’initiative de s’engager dans Cœur de Roche. » En somme, elle compte bien donner l’exemple aux futurs lycéens, un peu comme ses parents l’ont fait avec elle à travers son éducation et leurs nombreux dons à des associations. La pastorale : une mission pour les laïcs Les parents de Tiphaine lui ont également appris très tôt à « faire des gestes » et du bénévolat. Elle note cependant qu’en arrivant à La Rochefoucauld La Salle, « la pastorale nous met sur les rails », pendant la fameuse année de 2de avec engagement obligatoire. « Comme il y a une perte de vitesse des vocations, le partage des missions se fait avec des laïcs », explique Nadine Zamith, la cheffe d’établissement coordinatrice. Dans son lycée, ce sont donc principalement des parents qui gèrent cette pastorale : une autre forme d’engagement que l’on peut trouver entre les murs de l’établissement parisien. Pour Niki Pozzo di Borgo, une ancienne mère d’élève qui travaille à mi-temps dans la mode, c’est le « sens du devoir » qui, en 2006, l’a motivée à venir faire le caté : « À l’origine, je me rappelle m’être dit qu’il fallait prendre son tour. Que si nous avions des enfants catéchisés, c’est parce que des parents prenaient de leur temps pour le faire. » Frédéric Gouze, parent d’élève lui aussi, ingénieur et entrepreneur de 59 ans, a commencé dix ans plus tard pour une autre raison : « J’étais juste un chrétien qui allait à la messe et je voulais faire plus, je voulais transmettre. » Tous deux, habités par leur foi qui transparaît dans leur sourire et sur les traits de leur