REPORTAGE DANS UN DE NOS ÉTABLISSEMENTS : “DU DEVOIR DE L’ENGAGEMENT À LA JOIE DU PARTAGE”

Au lycée de la Rochefoucauld La Salle, l'engagement n'est pas un vain mot.

En ce jeudi du mois de janvier 2023, le temps est maussade. Pourtant, le gris et la pluie ne découragent pas les élèves du lycée La Rochefoucauld La Salle, nombreux à s’adonner au basket pendant la pause déjeuner, sur le terrain enclavé entre le bâtiment scolaire et l’arrière d’immeubles haussmanniens qui s’élèvent comme autant de forteresses. Le sol synthétique rouge sombre s’apparentant plus à une pataugeoire qu’à un terrain de sport, un lycéen s’applique à l’écoper minutieusement avec un racleau pour que ses camarades puissent faire rebondir le ballon comme il se doit. Comme une illustration des propos qui seront tenus tout au long de la journée, l’initiative d’un individu rend service à tout le groupe : dès notre arrivée, « la Roche » tient ses promesses.
photo de groupe d'enfants laslliens
Extrait du reportage Magazine La Salle liens international mars 2022 Florence Porcel – Laurence Pollet – Lionel Fauthoux

Des élèves privilégiés et engagés

Dans ce lycée du très cossu 7e arrondissement de Paris, chaque élève arrivant en 2de, une « année sans échéance » selon les mots de Tiphaine, une élève de terminale, doit choisir une association dans laquelle devenir bénévole. Cette obligation est une chance : « Grâce à ça, on se rend compte que c’est hyper facile de s’engager », explique Benoît, 17 ans. Cet élève de terminale avait alors choisi d’aller distribuer des repas via l’association La soupe Saint-Eustache. Tiphaine, de son côté, a découvert les maraudes. Quant à Salomé, scolarisée en 1re, elle est très investie dans l’association Cœur de Roche, intrinsèque à l’établissement, pour laquelle elle récolte des fonds pour financer un voyage au Pérou afin d’aller y rénover une école.
Ces trois jeunes font preuve d’une maturité tout à fait étonnante. Est-ce le fait de s’engager dès l’adolescence pour venir en aide à des populations dans le besoin qui apporte cette épaisseur et cet ancrage ? Ou bien est-ce leur ouverture et leur empathie naturelles qui les ont poussés à ne pas cesser leurs multiples engagements après leur première année de lycée ? Toujours est-il que ces élèves impressionnent. Benoît a fait un voyage humanitaire au Népal pendant les vacances d’été ; il a aidé des enseignants de maternelle à donner des cours d’anglais. Salomé reverse tout l’argent de ses baby-sittings dans Cœur de Roche. Et Tiphaine s’est rendue auprès d’enfants atteints du sida en Inde et a voulu créer sa propre association en France pour faire des maraudes (elle s’est malheureusement heurtée à l’obstacle de l’âge, peu compatible avec l’exercice de ces actions bénévoles en toute indépendance). Pour ces jeunes, l’engagement n’est donc pas consigné qu’au strict temps scolaire : il fait déjà partie de leur vie citoyenne.
photo 3 d'une personne engagée
photo 2 d'un enseignant
photo d'un enseignant engagé

Transmettre le sens du don et du partage

Face à ces profils impressionnants, il est facile de se laisser déstabiliser. Tous les élèves du réseau lasallien peuvent-ils en faire autant ? C’est Benoît qui, le premier, apporte une réponse à cette question qui n’a pas été ouvertement posée : « Nous sommes très privilégiés, surtout ici : on tourne la tête et on voit la Tour Eiffel. » Le milieu social aisé est évidemment non négligeable : avec des parents avocats, médecins, commissaires aux comptes ou cadres universitaires comme c’est leur cas, l’engagement envers les personnes moins chanceuses est plus simple à mettre en place, par exemple, que pour une élève rencontrée à Lyon à la faveur d’un précédent reportage qui doit aider sa mère pour les tâches ménagères chaque soir après l’école.
Ces trois élèves-ci n’en ont pas moins du mérite, d’autant plus que la conscience de leurs privilèges est aiguisée : « On est assez grand pour prendre conscience de la chance qu’on a, acquiesce Tiphaine suite aux propos de Benoît. J’ai chaud, je suis éduquée, je suis aimée par mes parents, j’ai beaucoup : je ne peux pas ne rien faire. » Salomé abonde dans le même sens : « On a tous conscience d’être privilégiés dans cette école. Partager cette chance ne nous enlève rien, nous n’avons donc aucune raison de ne pas la partager. » Dont acte. Elle insiste également sur la transmission, elle qui a eu envie de s’engager après avoir vu une vidéo sur les résultats d’une action humanitaire : « Le récit de l’engagement est primordial. Mon année de terminale sera aussi importante que le voyage au Pérou prévu l’été prochain : il faut partager le retour d’expérience pour que les gens prennent d’eux-mêmes l’initiative de s’engager dans Cœur de Roche. » En somme, elle compte bien donner l’exemple aux futurs lycéens, un peu comme ses parents l’ont fait avec elle à travers son éducation et leurs nombreux dons à des associations.

La pastorale : une mission pour les laïcs

Les parents de Tiphaine lui ont également appris très tôt à « faire des gestes » et du bénévolat. Elle note cependant qu’en arrivant à La Rochefoucauld La Salle, « la pastorale nous met sur les rails », pendant la fameuse année de 2de avec engagement obligatoire. « Comme il y a une perte de vitesse des vocations, le partage des missions se fait avec des laïcs », explique Nadine Zamith, la cheffe d’établissement coordinatrice. Dans son lycée, ce sont donc principalement des parents qui gèrent cette pastorale : une autre forme d’engagement que l’on peut trouver entre les murs de l’établissement parisien. 

Pour Niki Pozzo di Borgo, une ancienne mère d’élève qui travaille à mi-temps dans la mode, c’est le « sens du devoir » qui, en 2006, l’a motivée à venir faire le caté : « À l’origine, je me rappelle m’être dit qu’il fallait prendre son tour. Que si nous avions des enfants catéchisés, c’est parce que des parents prenaient de leur temps pour le faire. » Frédéric Gouze, parent d’élève lui aussi, ingénieur et entrepreneur de 59 ans, a commencé dix ans plus tard pour une autre raison : « J’étais juste un chrétien qui allait à la messe et je voulais faire plus, je voulais transmettre. » Tous deux, habités par leur foi qui transparaît dans leur sourire et sur les traits de leur visage, se sentent investis d’une mission. 

Après autant d’années d’engagement, le bilan est plus que positif : « Ce service de pastorale apporte tant, note Niki Pozzo di Borgo. Il permet de se sentir humble, impuissant, maladroit ou au contraire de réussir une belle séance qui va illuminer la journée. Cet exercice permet de mieux comprendre le travail d’un professeur : intéresser les élèves, soutenir leur attention… C’est tellement vertueux, cela change nos rapports avec l’école. Se trouver face à une classe est une grande chance ! » Frédéric Gouze retire également beaucoup de positif de son expérience, qui a évolué au cours du temps : « Au début, j’étais dans l’efficacité. Aujourd’hui, je suis là pour envoyer des pierres blanches, je suis plus serein. » Son engagement à la pastorale semble lié à son cheminement intime : « J’ai été élevé par des prêtres, c’était mon éducation. Je ne veux plus être religieux pour suivre une sorte de règle militaire : je veux être religieux pour être heureux. »
photo d'un eleve engagé fondation la salle
tiphaine eleve lasalienne
lyceene du reseau la salle

Un engagement qui questionne parfois, et qui fait grandir, toujours

Assis côte à côte lors de l’entretien, ils découvrent au fur et à mesure de leurs réponses que leurs pratiques de la pastorale sont légèrement différentes et comparent leurs expériences, devenant hilares à la faveur d’anecdotes légères ou affichant un air grave et concentré lors du récit de souvenirs douloureux. Niki Pozzo di Borgo raconte : « Un moment difficile était ce jour où un élève s’est moqué de moi. À la troisième fois, je lui ai demandé de sortir. À ce moment-là, j’ai montré un visage dur et méchant, je me suis énervée, alors que j’étais justement en train d’expliquer que c’était ce qu’il ne fallait pas faire. » Rétorquer, sans doute maladroitement, qu’elle reste un être humain et que la deuxième règle sur les trois qu’elle impose à ses élèves dans le cadre de son cours (dire la vérité, ne pas se moquer, respecter le temps de prière) n’avait pas été respectée n’a pas eu l’air de l’apaiser. « Il faut faire avec qui l’on est et accepter ses limites avec humilité », analyse-t-elle. Et Frédéric Gouze d’acquiescer d’un air grave. Ce qui ressort du récit de leurs expériences respectives et de la manière dont ils les partagent demeure tout de même, et de loin, une joie communicative. Et à l’aune de cet engagement, « on grandit nous-mêmes », conclut-il.

Des adultes pleinement investis dans le service

Du côté de l’équipe éducative non bénévole, l’engagement tout entier tourné vers les élèves est total et force l’admiration. Arnaud Canton, éducateur et référent des classes de terminale, met un point d’honneur à recevoir en entretien chacune et chacun des 120 élèves dont il a la charge : cela lui prend presque un trimestre mais il n’entend son engagement envers ces jeunes qu’à l’aune de l’accompagnement individuel qu’il a le devoir de leur apporter. « J’ai avec eux une relation de grand frère : ils ont plus de facilité à venir me voir par rapport à un professeur. » Cette facilité s’explique sans doute aussi par le peu d’années qui les séparent (il a 26 ans), ce qui atténue, voire efface, le choc des générations. « Quand il y a un problème, on creuse, mais il faut trouver le juste milieu : je ne veux pas trop m’immiscer dans leur vie », tempère-t-il. L’engagement d’Arnaud Canton ne se cantonne pas à ses terminales : il fait du patronage de jeunes hors du temps scolaire, il est engagé dans Cœur de Roche et il a créé un tournoi annuel de foot en lien avec l’établissement.

Exergue : « J’ai la conviction absolue que pour sauver le monde, il faut aider les autres »

Yolaine de Nanteuil, 37 ans, adjointe à la vie scolaire, a un parcours et des engagements tout autant atypiques et admirables. Ancienne psychologue pour adolescents, elle a changé de voie pour enfin trouver la sienne chez les lasalliens : arrivée dans le réseau au début de la pandémie, elle a d’abord été « la dame des iPad » (comprenez : coordinatrice de l’enseignement à distance) avant de rejoindre la vie scolaire : « Ça a été le coup de foudre immédiat pour ce poste. Je n’ai jamais été aussi contente de me lever le matin. » Ancienne scout, c’est l’humain qui la porte :
« J’ai la conviction absolue que pour sauver le monde, il faut aider les autres. » Alors, elle s’implique dans son métier et dans Cœur de Roche avec la conscience, comme Salomé, Tiphaine et Benoît, de ses privilèges : « J’ai la chance de venir d’un milieu privilégié, j’ai envie de remercier et de rendre à ceux qui n’ont pas les mêmes chances. On s’enferme vite dans le confort mais je n’ai pas envie de perdre de vue ce qu’il y a autour, ce qui est différent, ce qui peut faire peur. » Elle est attentive à ce que les jeunes qu’elle accompagne ne l’oublient pas non plus : « On est dans un lycée privé du 7e, il faut leur montrer une autre réalité. » Son discours posé et construit ainsi que son regard sur la vie feraient pâlir bien plus d’un sage. Son pull blanc renvoie à sa pureté d’âme, et les petits cœurs rouges alignés sous le col ont sa droiture et la chaleur qu’elle dégage.
Nadine Zamith, qui est arrivée à la tête de La Rochefoucauld La Salle en septembre dernier, a une vie tout entière rythmée par l’engagement. Ancienne professeure d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique, elle a créé l’association Rom Réussite avec son mari et un couple de Roms, a été bénévole au Secours Catholique, et a ouvert, dans l’établissement lasallien de Saint-Germain de Charonne où elle exerçait auparavant, une classe pour les migrants. Cette classe existe toujours et accueille entre dix et douze élèves par an, avec un emploi du temps et des cours adaptés à la situation exceptionnelle de ces élèves. La cheffe d’établissement coordinatrice ne peut empêcher son visage de s’éclairer à l’évocation de certains de ces jeunes mineurs isolés : « On les aurait bien adoptés ! » Elle revient ensuite à la devise de La Rochefoucauld, « L’excellence par l’accompagnement », et explique la voie qu’elle a choisi de suivre pour ce nouveau poste : « Je m’intéresse au mot « excellence », je creuse ce qu’il veut dire. » Ambitieux programme.
enfant photo de groupe engagement
En ce qui concerne l’engagement des jeunes dans les associations ou l’humanitaire, celui des parents pour la pastorale ou celui de l’équipe éducative envers les élèves, l’excellence est d’ores et déjà atteinte : « La Roche » a assurément du cœur.

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