Continuité pédagogique : le phare lasallien dressé dans la tempête sanitaire

A situation sanitaire exceptionnelle, continuité pédagogique exceptionnelle. En raison du Covid-19, les établissements scolaires de toute la France ont dû organiser l’école à la maison, avec le soutien des parents confinés avec leurs enfants. 60 000 établissements et 12 millions d’élèves. Et parmi eux, 150 établissements lasalliens de la maternelle à bac + 6 et 150 000 élèves ou étudiants. Nos équipes pédagogiques au grand complet se mobilisent pour permettre aux élèves de continuer leur scolarité. Focus sur cette période particulière… et prospective ! Ce nouveau mode d’apprentissage imposé par le contexte débouchera-t-il sur une autre vision de la transmission du savoir ? Enquête.

Professeurs des écoles, enseignants des collèges, lycées, BTS, écoles d’ingénieurs… tous les acteurs des établissements lasalliens ont relevé le défi de la continuité pédagogique. Bruno Daguin, coordinateur système d’information à la Fondation de la Salle, explique : « Le confinement aura proposé une nouvelle vision de la transmission des savoirs et débouchera sur une réflexion plus poussée sur l’utilisation du numérique dans les apprentissages dans les prochains mois. Le réseau La Salle se saisit de cette problématique depuis plusieurs années et sera pleinement acteur de cette transformation à l’avenir. »

Un flot d’informations et d’échanges à maîtriser

Monsieur Despres, professeur de physique chimie au collège et lycée général Saint-Joseph La Salle Lorient, propose aux élèves vidéos et exercices à la maison pour leur permettre de continuer à progresser dans les apprentissages en cette période de confinement. Dès le premier jour, au pied levé, la vidéo sur le fonctionnement du bec bunzen a remplacé la manipulation en situation. Elle a été suivie d’un questionnaire à renseigner par les élèves, comme d’habitude. La problématique pour cet enseignant a été de gérer le flux ininterrompu de questions d’ordre informatique s’ajoutant aux interrogations propres à sa matière. Parents et élèves ont mis un peu de temps à s’acclimater au « tout numérique ». Dans cet établissement de 2000 élèves de la 6^e au post-bac, chaque élève possède depuis longtemps un espace personnel d’interaction avec ses enseignants et ses camarades. Utile en période classique, cet espace se révèle primordial et a demandé quelques ajustements pour la pratique intensive qu’exige le confinement. Monsieur Despres a donc géré l’urgence en créant un tutoriel d’utilisation numérique à destination des élèves et des parents. « Certains jours, j’ai reçu plus de 150 mails. Il a donc fallu réguler ce flux en répondant au plus vite aux questions informatiques les plus fréquentes pour laisser place aux apprentissages. » Chose faite, les semaines actuelles se déroulent plus sereinement.

La maman d’un élève en 5^ème à La Salle Passy Buzenval revient sur l’organisation de cette période compliquée. Directrice juridique en entreprise, elle doit jongler entre son télétravail et le suivi des apprentissages de son fils. « La difficulté a été au début de gérer la multiplicité des canaux de transmission pédagogique : le progiciel de suivi des apprentissages Ecole directe, l’appli collaborative du pack office Teams, les différents fils de discussion. Il fallait vérifier dans chacun des clouds, des messageries et des espaces collaboratifs si l’on ne ratait pas une information. Au bout de quelques jours, les élèves, les parents et les enseignants étaient en phase et maintenant tout est très bien organisé. » Comme beaucoup de nos établissements, La Salle Passy Buzenval propose des « équipes » par matière, avec des espaces dédiés pour accéder à des cours, déposer des devoirs, récupérer des corrections, télécharger des vidéos, chatter avec les enseignants ou entre élèves. Bref, le numérique sous toutes ses formes au secours du confinement.

De nouvelles compétences transverses développées par les élèves

Des écoles d’enseignement supérieur telles que l’ISFEC et l’ESAIP, dont le numérique est le cœur de métier, mettent à profit des méthodes pédagogiques déjà bien rodées d’enseignement à distance. Frère Joël Palud, professeur d’espagnol à l’école d’ingénieur de l’ECAM à Lyon, a ouvert une chaîne Youtube pour continuer à transmettre son savoir à ses élèves. Enregistrement d’une vidéo puis montage et enfin rendez-vous pour un chat en live avec ses 41 étudiants à l’heure habituelle du cours. L’enseignant affirme que sa pratique pédagogique a évolué grâce à cette crise et que les nouveaux canaux de transmission seront autant de ressorts pédagogiques et didactiques qu’il réutilisera par la suite. « J’ai « vu » des étudiants impliqués qui apprécient le travail que l’on réalise pour eux et qui ont le souci d’apprendre » se réjouit-il avant d’ajouter « certains ont fait des progrès considérables en autonomie et en organisation ».

De nombreuses compétences transverses se sont développées chez les élèves, par la force des choses : autonomie, gestion du temps, organisation… Les élèves réinvestiront ces qualités dans leur vie scolaire future mais aussi dans leur vie personnelle et professionnelle. Lorsqu’un grand frère en CM2 aide en confinement sa petite sœur en maternelle à réaliser une tour Kapla, les deux enfants sont gagnants. La petite travaille la motricité primordiale à son âge, le grand, l’écoute et la pédagogie. Et développe également un sentiment positif de fierté.

Cette pédagogie a véritablement fédéré un groupe classe

Romain, élève de seconde au lycée général Saint-Joseph La Salle Lorient, explique s’astreindre à travailler 5 heures quotidiennement. « Les matières sont abordées différemment, ce qui est intéressant. Nous maintenons un contact constant entre nous et avec les profs, c’est indispensable pour rester motivés » souligne-t-il. Avant de préciser : « Nous avons même plus de contacts entre nous que d’habitude, nous échangeons sans cesse sur tel ou tel exercice, même avec les enseignants. En fait, cette période a véritablement fédéré un groupe classe. » Délégué de sa classe et membre du Conseil de Vie Lycéenne, le jeune homme a particulièrement à cœur de soutenir ses camarades, pour qu’ils ne restent pas isolés. Précisément, selon Marc Vannesson, délégué général du think tank dédié à l’éducation « Vers le Haut », le point d’inquiétude émergeant de cette période est le creusement des inégalités en raison des cadres familiaux différents. Certains élèves décrochent pendant ce confinement pour des raisons diverses : manque de moyens informatiques, d’espace pour travailler, de motivation, sentiment de solitude face aux apprentissages… A Saint-Joseph La Salle Lorient, comme dans nombre de nos établissements, toute l’équipe éducative répond à cette problématique par un soutien et une présence à distance sans faille. Les enseignants ayant transmis aux CPE les contacts des élèves ne semblant pas suivre les enseignements à distance, les équipes éducatives ont pris le relais en téléphonant aux parents afin de faire le point et d’aider les familles à s’organiser pendant cette période si particulière. Olivier Prigent, Directeur adjoint de l’ensemble scolaire, confirme l’importance du suivi éducatif pour parer au décrochage : « Malgré la difficulté du passage de toutes les activités en distanciel : conseils de classe, Parcoursup ou encore cours à distance, tous les acteurs éducatifs et pédagogiques ont à cœur de garder le lien avec les jeunes pour ne laisser personne au bord de la route ».

Cette période a transfiguré les rapports éducatifs

Selon Marc Vannesson, cette expérience particulière fait évoluer deux paramètres : le rapport élèves-enseignants et le lien parents-enseignants. Les enseignants ne sont plus simplement des professeurs-transmetteurs de savoir mais bien des éducateurs au sens large. Indubitablement, cette vision éducative rejoint celle de Saint Jean-Baptiste de la Salle. Les parents, de leur côté, doivent s’impliquer plus qu’à l’accoutumé dans la mission éducative. Marc Vannesson précise : « Les parents sont plus que jamais sensibilisés à la mission des enseignants : à sa difficulté et également à sa richesse. Ce point est crucial et augure d’une relation éducative plus équilibrée et plus positive à l’avenir. »

Outre la transmission des savoirs proposée en ligne, les relations humaines maintenues par tous les acteurs de la communauté lasallienne (enseignants, éducateurs, équipes administratives…) sont primordiales pour le moral des familles. Madame Pascaud, psychologue en structure post-bac, confirme : « Les contacts de tous ordres permettent de maintenir le lien essentiel à l’Autre. Réseaux sociaux, appels, visio, participation à des communautés en ligne… tous les échanges permettent de conserver un rapport à la communauté humaine au sens large ». Avant d’analyser : « Les jeunes et les parents qui vivent le mieux le confinement sont ceux qui gardent à l’esprit que l’enfermement physique est un acte de responsabilité citoyenne. Cela leur permet d’être acteurs au lieu de s’enfermer dans la passivité d’une obligation imposée par autrui ».

Bien au-delà de l’acquisition de savoirs, le développement de l’altruisme

Au-delà de la transmission des apprentissages classiques, cette période est l’occasion de transmettre aux élèves le sens citoyen et plus largement l’altruisme qui fait écho aux valeurs du Parcours d’Education à la Justice lasallien : la fraternité, la responsabilité ou encore la bienveillance. De nombreuses opérations de solidarité ont vu le jour dans nos établissements. Les Francs Bourgeois La Salle ont proposé aux élèves d’écrire aux malades et aux habitants des Ehpad afin de rompre leur solitude via l’association TuN’esPasSeul, lancée par une psychologue de l’hôpital Simone Veil à Eaubonne dans le Val-d’Oise. Suite à un appel de l’Etat et avec le soutien de la direction de l’établissement, le professeur de STI de La Salle Saint-Etienne Monsieur Lac a fabriqué des bandeaux de visières en plexiglass avec l’imprimante 3D du FabLab. Ils servent à protéger le personnel soignant en première ligne face au COVID-19. A Notre Dame de la Salle à Pont-à-Mousson, chaque élève de maternelle a réalisé un dessin coloré pour l’accrocher à la fenêtre ou l’envoyer aux urgences de l’hôpital. A Saint-Joseph La Salle à Semur-en-Auxois, les enseignants d’EPS ont proposé un Flash Mob sur le thème des gestes barrières. Chaque classe présentera son Flash Mob en fin d’année pour tenter de gagner le concours. Une manière ludique de faire de l’exercice tout en se sensibilisant aux bonnes attitudes !

Nos établissements accueillent également les enfants des soignants grâce aux enseignants volontaires pour assurer une continuité en présentielle primordiale permettant aux personnels mobilisés de travailler. Au-delà de l’aspect pédagogique, des établissements lasalliens dotés d’un internat ont ouvert leurs portes aux soignants. UniLaSalle Beauvais héberge par exemple 24 infirmières et 3 médecins venus renforcer les équipes de l’Oise, département particulièrement touché. Les écoles d’enseignement supérieur du réseau se sont pleinement investis en prenant en charge à la fois les étudiants étrangers logés dans les résidences et les étudiants français partis en stage à l’étranger.

Nous devons repenser notre école

« Il faut absolument résister à la première tentation qui serait de continuer à enseigner et plus largement à vivre comme avant, comme s’il ne s’était rien passé. Nous devons repenser notre école » affirme Marc Vannesson. Avant de renchérir : « Nous devons faire le bilan de cette période, évaluer ce qui a marché et ce qui a pêché et en tirer des enseignements pour l’avenir. Ce confinement nous a lancé un véritable défi éducatif qu’il nous faudra relever. Nous devons accepter que nous avons traversé une épreuve collective et qu’il nous faudra réinventer de nouvelles pratiques pour une école de l’avenir ».

Catherine Dauguet