Reportage dans un de nos établissements : Prendre soin des élèves d’un quartier défavorisé : une nécessité
Nantes – Sacré Coeur La Salle
Extrait du reportage Magazine La Salle liens international juin 2023 Florence Porcel – Laurence Pollet – Lionel Fauthoux
pour en savoir plus : l.fauthoux@lasallefrance.fr ou l.pollet@lasallefrance.fr
Au beau milieu de l’un des quartiers les plus difficiles de France, un établissement offre un espoir de réussite à de nombreux jeunes : le lycée Sacré-Cœur La Salle. Ce lycée de la dernière chance mise tout sur le soin porté aux élèves. Avec succès.
Nous sommes fin juin, et le lycée Sacré-Cœur La Salle de Nantes accueille l’une de ses dernières réunions. Sous les sirènes des pompiers qui emplissent continuellement l’espace sonore, l’une des membres de l’équipe pédagogique arbore un T-shirt où s’inscrit en lettres dorées le slogan suivant : « L’amour, etc. ». Le tableau dépeint à la perfection ce que sera cette journée au sein de cet établissement situé en plein cœur d’un quartier de reconquête républicaine* : préservée des émeutes qui ont embrasé les environs la nuit précédente, en réaction à la mort du jeune Nahel tué par un policier, grâce au soin porté par les équipes éducatives qui font de l’endroit un havre de paix et de calme pour les jeunes.
« Le lycée est une espèce de bulle, certes, mais sous tension permanente », annonce d’emblée Raphaëlle Hannezo, la cheffe d’établissement. Le soin porté aux élèves ici n’est pas qu’un artifice ou un vœu pieux : c’est une nécessité. « C’est le seul endroit qui accepte les élèves en rupture avec les autres établissements ou avec le système scolaire lui-même. C’est le seul endroit qui s’occupe d’eux, ajoute-t-elle. Alors ils ont besoin de temps, de calme, d’attention. Et surtout : d’écoute. De beaucoup d’écoute. » Une oreille attentive et bienveillante ne résout pas tous les problèmes. Elle apaise cependant et apporte un début de solution.
Mais le soin, pour Raphaëlle Hannezo, ne passe pas seulement par l’écoute et l’accompagnement sans relâche du quotidien : il peut aussi se matérialiser via des actions symboliques dont la portée dépasse le cadre strict des élèves pour rayonner sur l’attention portée au quartier et aux familles en général. « La tante de certains de nos élèves a été assassinée à quelques pas du lycée le jour de l’anniversaire de la mort de Samuel Paty. J’ai décidé que l’hommage républicain prévu dans les écoles ce jour-là pour Samuel Paty serait également un hommage à Nadia Hassade, victime d’un féminicide dans un quartier déjà meurtri par d’autres formes de violence. » Une manière, en sorte, d’essayer de retisser le lien entre la République et ces jeunes qui souffrent d’un « sentiment d’abandon très fort du pays ». En plus de cette initiative au sein de son établissement qui a été très appréciée par les jeunes, elle s’est rendue à la mosquée pour la cérémonie : les habitants ont été agréablement surpris par sa présence. Cette démarche, à elle-seule, a permis de montrer qu’elle s’investit pour ses élèves bien au-delà de sa stricte fonction au sein des murs du lycée. « Au-delà de l’empathie, précise-t-elle, je leur offre un cadre avec plus d’affect. Souvent, je dis à mes élèves : “ Je vous aime, moi ! ” Je les considère comme mes enfants. »
Ces élèves dont on prend soin et qui se destinent au soin à la personne
Il lui arrive parfois, lors de cas particulièrement difficiles, d’en prendre sous son aile individuellement : c’est le cas d’Elif, 17 ans. Ce type d’accompagnement par la cheffe d’établissement apporte une dimension psychologique et symbolique non négligeable : « Elle se dit “ La directrice me regarde ”. C’est certes une pression supplémentaire, mais ça la valorise, aussi ! » Ce jour-là, nous retrouvons la jeune Elif en plein atelier de rénovation d’un banc avec plusieurs autres camarades, encadrées par deux enseignantes. Pinceau à la main, taches de peinture verte sur les mains, elle s’ouvre avec plaisir : « J’ai fait un stage en école maternelle avec une Atsem, et un autre en accueil de jour dans une résidence pour personnes âgées. » Parce que le soin, au Sacré-Cœur La Salle, n’est pas seulement un projet pédagogique à destination des élèves : il se trouve aussi dans les formations proposées, notamment en AEPA (Animation enfance et personnes âgées). « À la base je voulais travailler avec les bébés, confie Elif. Mais j’ai compris grâce à mes stages que je préférerais finalement travailler avec les personnes âgées. Ils sont reconnaissants. Et puis passer juste cinq minutes avec une personne âgée, ça peut la rendre heureuse. »
Santé mentale, santé physique, santé sociale
Tandis que les jeunes préparent leur avenir dans des contextes sociaux ou familiaux parfois très difficiles, la question du soin chez leurs professeurs est à la fois un outil de travail et une question de survie. Valérie Grégoire, enseignante en biotechnologie, dispense des cours de prévention santé environnement : « Ce programme permet d’éviter les maladies professionnelles. On sauve des vies ! » Cette diététicienne de formation insiste sur les trois aspects du soin, qui sont indissociables selon elle pour un suivi de qualité et les meilleures chances de résultats : « Il faut prendre soin à la fois de la santé physique, de la santé mentale et de la santé sociale, explique-t-elle. Par exemple, l’alimentation a un impact évident sur la santé physique, mais proposer un grand repas partagé entre les élèves, leurs parents qui apportent des spécialités issues de leurs pays d’origine et les enseignants, ça apporte de la convivialité, certaines valeurs et une qualité du partage qui prennent soin de la santé sociale. »
Prendre soin de la santé sociale, dans cet établissement au public réputé difficile, n’est pas une mince affaire : « Beaucoup de jeunes sont livrés à eux-mêmes », souffle Aude qui enseigne l’histoire-géographie. Lucile, professeur de français et d’anglais en Bac professionnel, acquiesce : « Parfois, les jeunes ne prennent pas soin des adultes. Donc on prend soin des élèves, mais des collègues aussi. » Raphaëlle Hannezo abonde également dans ce sens : « Il faut prendre soin des profs et du personnel, en plus des jeunes. » Un personnel éducatif en bonne santé mentale est évidemment indispensable pour un accompagnement efficace, et l’équilibre n’est pas simple à tenir. Cependant, Ninon, 17 ans, ne cache pas sa reconnaissance envers l’équipe pédagogique : « Avant, au collège, ils s’en fichaient. Ici, ils nous encouragent à avoir confiance en nous. » L’admiration envers différents membres des équipes ne provient pas seulement des jeunes en direction des adultes. Alors que nous nous apprêtons à rendre visite à Anne-Laure Dupont, l’infirmière scolaire, Raphaëlle Hannezo lâche dans un cri du cœur : « C’est une sainte ! »
Être attentif à l’élève et à l’environnement dans lequel il évolue
L’infirmerie, un peu excentrée, est néanmoins chaleureuse. Depuis un couloir qui sert de salle d’attente, une porte à gauche donne sur un espace où sont disponibles deux chambres et des bouillottes aux couleurs lasalliennes, tandis que sur la droite, une porte s’ouvre sur le cabinet d’une psychologue à côté duquel les dates et horaires de présence sont affichés. Une autre porte mène au cabinet d’Anne-Laure Dupont qui nous reçoit derrière un bureau spacieux. « Mes collègues font beaucoup de bobologie, mais pas moi. Ici, je fais de la médecine sociale, et j’aime ce public disparate, multiculturel et éclectique », détaille-t-elle. Son expérience l’amène à une conclusion qui rejoint l’analyse de Valérie Grégoire : « On prend les jeunes systémiquement, sinon on n’avance pas. » Impossible en effet dans ce quartier de dissocier les problèmes des élèves de leur contexte familial et social. « Par exemple, un suivi psy est mal vu dans la culture musulmane ou turque, il y a beaucoup de résistances. » Heureusement, jusqu’à 21 ans, le suivi est anonyme et confidentiel : les parents n’ont pas besoin d’être au courant. « Beaucoup de jeunes filles viennent me voir pour aller au centre Simone Veil qui pratique les IGV ; je dois également gérer des situations délicates comme des tentatives de suicide à l’internat de jeunes qui sont scolarisés à l’extérieur de l’établissement… Et j’ai connu des situations qu’on ne voit pas ailleurs », ajoute-t-elle sans donner de détails. « Pour certaines filles, le lycée est leur seul endroit de liberté, de sortie, observe l’infirmière scolaire. C’est très important pour les jeunes qu’ils puissent déposer des choses chez moi pour ensuite n’être que des élèves dans leur classe : ça les sauve. Même si c’est compliqué chez eux, leur fonction d’élève permet de grandir grâce à l’école : c’est la plus belle récompense qu’on puisse leur offrir. »
La santé mentale des jeunes est également un point de préoccupation pour Cassandre Roulinat, responsable de l’internat : « Il y a des sujets un peu durs à gérer : des filles qui ont des difficultés avec la religion ou avec leur père, des tentatives de suicide… » Pour prendre soin des 80 jeunes qu’elle a à sa charge, elle reste à l’écoute, « toujours attentive, jamais intrusive » et organise des activités qu’elle propose ou qui viennent des jeunes eux-mêmes : un bal de promo, une chasse aux œufs de Pâques, des jeux… « Ils ont des difficultés sociales et psychiques, mais ils ont un bon comportement. »
Le soin passe aussi par des attentions simples, mais qui peuvent tout changer : « Nous avons un élève en transition de genre, Raphaël. Je l’ai mis en chambre seul et je ne l’ai jamais mégenré. Il m’a dit qu’il n’avait jamais été aussi heureux qu’ici », raconte Cassandre Roulinat. Ça n’a pas empêché cet élève de désobéir à une règle élémentaire : il a fumé en cachette… Et s’est fait prendre ! « J’ai donné une sanction, mais qui était adaptée, explique-t-elle. Non seulement cet élève l’a acceptée, mais en plus il me l’a rendu au centuple par la suite et la confiance s’est restaurée. »
Au lycée Sacré-Cœur La Salle, pendant le temps des cours comme à l’internat : « L’amour, etc. »