Collège sainte-Marie La Salle à Roubaix, un pahre dans le Babel

« SI JE LES PERDS, JE NE SAIS PAS OÙ ILS VONT ! » Michel Furnari, professeur en SEGPA.

C’est sur ce cri d’alarme que je fais la connaissance de Farida Zouggagh, ancienne élève, et aujourd’hui adjointe de direction au collège La Salle Sainte-Marie de Roubaix.
420 jeunes âgés de 11 à 16 ans, 92% de familles boursières, une trentaine de nationalités au cœur d’une ville où la concentration de la richesse autour du parc Barbieux induit sur un autre versant de la ville une ghettoïsation de la pauvreté. Les jeunes n’ont qu’une rue à traverser pour se réfugier sous les ailes des équipes Sainte-Marie La Salle. Mais entre la cage d’escalier et le portail du collège, le trajet rime avec danger. Enrôlements en tout genre, violence, drogue, harcèlement sont dans la rue. Et c’est uniquement lorsque Saïd et Sofia (1) arrivent dans la cour que leur regard s’illumine. Le jeune garçon m’interpelle : « Ici, Monsieur, les professeurs ont le S. » J’ai beau réfléchir et reprendre le lexique de mes propres adolescents, je ne comprends pas. Ils m’éclairent : « Oui le S, c’est-à-dire le sang. C’est la vie, c’est l’amour qui coule dans les veines. Il se passe quelque chose ici et cela fait du bien ! »
classe sainte marie las alle
Pour Zine Chenafi, professeur de mathématiques en classe de 4ème, la mission est salutaire à Sainte-Marie. « On sauve les enfants de la délinquance. Il n’est pas rare de reprendre les fondamentaux autour de l’hygiène ou de la politesse en plein milieu de la résolution d’une équation du premier degré. Ma plus grande satisfaction, c’est de constater l’évolution de nos élèves au fil des mois. Je retrouve même, des années après, nos anciens qui, pour certains, font de brillantes carrières dans le médical, le juridique ou l’artisanat. »
Zine exerce à Sainte-Marie depuis 2015. Il porte un regard d’espérance inusable sur chacun de ces enfants venus de Syrie, d’Algérie, du Maroc, de France et d’autres terres encore. Il martèle sans cesse que ce vivre-ensemble n’est possible que parce qu’il y a un esprit fraternel. Mieux encore, une pastorale du seuil qui vient naturellement désamorcer les tensions. « Les familles nous font confiance. Elles savent que nous éduquons leurs enfants dans les valeurs d’un Dieu universel et que nous les instruisons selon les intuitions de saint Jean-Baptiste de La Salle pour les amener vers un monde meilleur. »
Farida m’explique que certains enfants se lèvent seuls, sans faire de bruit, et arrivent le ventre vide au petit matin. C’est au détour d’une conversation que l’adjointe de direction apprend que le papa de Sarah est en prison et qu’il lui manque terriblement.
Je ne sais plus si la buée de ses lunettes est la conséquence d’un trop-plein d’émotions dans le vide existentiel de ces enfants ou de l’impatience d’avaler un café brûlant. Elle se ressaisit dans un joli lapsus : « Ici je m’épanourris ! » C’est le plus beau néologisme que j’ai pu entendre de la bouche d’un éducateur tout à sa vocation.
ecole a roubaix
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Pour Tarak Majouli, responsable de niveau des 3èmes et enseignant depuis 2005, « les élèves ont besoin d’un exemple ». Et derrière l’exemplarité, il y a la justice. Le Parcours d’Education à la Justice (PEJ) développé par le pôle animation formation du réseau national et déployé par les équipes pédagogiques de Roubaix est un véritable guide dans l’accompagnement des jeunes collégiens du quartier. Il s’agit de convertir des valeurs telles que le courage, le pardon, la liberté, la responsabilité,… en vertus. Autrement dit, que ces notions deviennent au fil des mois de véritables traits de caractère chez nos jeunes.
Tarak insiste sur le sens donné à la mission : « Nous ne sommes pas là uniquement pour transmettre un savoir. Par ces chemins sinueux des apprentissages de la vie, nous donnons du sens à notre métier d’éducateur. »
Changement de décor. Après les classes dites traditionnelles, me voilà devant la porte mystérieuse de Michel Furnari, responsable de la classe SEGPA et professeur d’atelier. Ce quadra aux allures de Billy Gibbons, le chanteur de ZZ Top, est un ancien compagnon du devoir qui met à profit ses talents auprès de nos ados. Le travail du bois, la marqueterie, la sculpture, l’électricité, la petite maçonnerie, l’informatique, tout ce qui se démonte, se transforme ou se recycle, c’est pour Michel et il sait embarquer dans son arche l’ensemble de ses jeunes sur des créations à couper le souffle. De l’utile à l’art déco, il éduque et façonne les mains des adolescents dans la précision du geste et la recherche esthétique de la pièce finale. Véritable laboratoire d’expériences, son atelier est une fenêtre ouverte sur la beauté du monde.
Mouloud Berbache s’invite dans la conversation. Ce directeur de SEGPA joliment cravaté m’interpelle : « Le secret pour ces enfants, c’est d’être tout le temps présent pour eux. » Les équipes se réunissent ainsi deux heures par semaine pour échanger sur chacun des enfants de la SEGPA et du collège. Ces mini-conseils de classe permettent d’aborder la pédagogie mais aussi la vie dans l’établissement. Mouloud insiste sur la construction de l’homme, il est convaincu par une pastorale vécue transversalement sur le site.
Vient enfin le moment de retrouver le chef d’établissement. Après une expérience réussie de directeur adjoint à Saint-Adrien La Salle de Villeneuve-d’Ascq (59), Benoît Lagniez a pris la direction du collège en septembre 2020. « Il n’est jamais question de prendre possession d’un lieu, mais toujours d’intégrer avec confiance une équipe solide et professionnelle. Mon rôle est d’insuffler un nouvel élan à Sainte-Marie. »
Benoît est sur tous les fronts. En quelques mois il a su consolider les liens avec la mairie, les associations et les partenaires locaux qui ont saisi depuis des années les enjeux de ce collège implanté au cœur des quartiers populaires de Roubaix. Le chef d’établissement veut aller plus loin, en hissant le collège dans ses résultats.
Ritualiser une journée, c’est proposer un cadre rassurant, une cadence dans l’organisation du travail. Il est tout aussi essentiel de sacraliser la classe ; cela passe par le silence, l’écoute, le respect du lieu mais aussi de celui ou celle qui s’exprime, et enfin l’ordre au sens noble du terme.
Benoît et son équipe de direction ont également imaginé l’étape d’après en offrant à ces jeunes davantage d’espaces de liberté d’expression et en proposant plus de sorties pédagogiques, plus d’activités sportives, culturelles et cultuelles. Sainte-Marie La Salle est un lieu de vie, d’instruction, de rencontres, de connaissance de soi et de l’Autre. Un endroit qui permet de rêver, d’espérer, de prendre confiance et de grandir dans la dignité. Il est essentiel de révéler les talents de ces jeunes : ils sont notre avenir et notre espérance pour demain.

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